Merci à tous d'avoir été patient. Et merci à ceux qui ont été impatients.
Voici enfin, après de longues heures de retranscription et des galères techniques en pagaille- l'entretien avec Andreas. J'espère que vous trouverez, au fil des questions, des réponses ou des pistes pour mieux comprendre l'auteur et son approche très personnelle de la bande dessinée.
Assez d'attendre ? C'est ICI pour lire TOUT DE SUITE l'entretien.

Quelques précisions :
- Cet entretien n'est absolument pas exhaustif et aborde simplement quelques thèmes qui m'intéressent dans le travail de l'auteur;
- Malgré quelques coupures, le ton de la restranscription a volontairement été conservé. Je trouvais plus intéressant de voir comment notre conversation a évolué que de donner les informations brutes (d'où le style très "parlé" des réponses et des questions);
- Je n'ai pas pris le temps de faire une présentation graphique de ce contenu (d'autant plus que RX a fort à faire actuellement...) car je désirais vous le rendre accessible le plus vite possible;

- Le titre est un simple clin d'oeil (qui pense ???) à cette conversation. Je comptais poser, en dernier et en manière de gag, cette question. Comme vous le lirez, Andreas m'a précédé;
- Enfin, je remercie ici toutes les personnes qui ont permis à cet entretien d'avoir eu lieu : Les éditions Delcourt qui ont transmis le message, Andreas - bien sûr- qui a eu le respect de donner suite à mon appel, de me donner de son temps et de me présenter sa coloriste Isa Cochet (qui a fait un merveilleux travail sur Attaque, tome 6 de Capricorne), ma soeur Céline qui s'est consciencieusement occupée de l'enregistrement et a soutenu mon trac à tendance maniaco-dépréssive, mon père Martial et ma soeur Nathalie pour la relecture et la correction. Un travail de famille !! :)


"ET DIEU DANS TOUT CA ?"

Un entretien exclusif avec Andreas

Entretien réalisé par Laurent CARCELES (LC)

Festival Quai des bulles 28 octobre 2000

  • LC : Normalement, il y a une dizaine de questions, pas plus
  • Andreas : Oui, oui. J'ai tout mon temps
  • LC : D'accord. Je vais commencer par une petite question sur Rork. Au début de Fragments, la réédition si je ne me trompe pas, il y a des grandes illustrations qui ont été rajoutées en noir et blanc.
  • Andreas : Oui.
  • LC : Il y en a une qui est particulièrement, on va dire " amusante ", qui représente des tableaux accrochés à un mur. On y voit une bougie éclairant un papier peint représentant des hiboux. Cette illustration a-t-elle été faite avant la fin de Rork ou après ?
  • Andreas : Cela dépend... Quand ils l'ont réédité ? Je ne me rappelle pas exactement. Je ne sais plus, il faudrait regarder au début la date d'impression pour voir si cela correspond. Je suppose après. C'est-à-dire qu'ils ont commencé à rééditer à partir de... Descente. Oui, c'est là que ça a changé. Donc, il y a Descente, Retour. Cela se situe vers la fin ou après.
  • LC : Il est très joli ce dessin. Pour les gens qui connaissent Rork, c'est un beau clin d'oeil. Je n'ai que l'ancienne édition, c'est un ami à qui j'avais conseillé vos récits qui m'a dit : " Tiens, j'ai repéré quelque chose, je vais te le montrer ". Il me l'a photocopié en très bonne qualité et me l'a offert dans un cadre.

Je pense que vous avez vu, sur le site, je me suis permis de récupérer l'épisode Les oubliés de Rork que je ne connaissais pas et qu'un canadien m'a envoyé. Cela a été d'ailleurs tout un réseau car lui-même ne possédais ni le Super Tintin, ni de scanner. (sourires). Vous avez écrit cet épisode après les 92 planches ? L'idée était de faire revenir Rork ?

  • Andreas : Oui. J'avais arrêté de travailler pour Le Lombard à ce moment là. Et puis il m'ont demandé cette histoire là. Je me suis dis : "Je vais faire en sorte que je puisse l'intégrer dans un album plus tard." Quand ils ont sorti Fragments, cela s'est bien vendu. Ils m'ont donc demandé de continuer directement des grandes histoires. Donc celle-là, elle est restée un peu sans suite.
  • LC : Pourtant, elle s'intègre bien. Elle pourrait...
  • Andreas : Pas vraiment parce que... Au début on voit quatre ou cinq planètes, et puis à la fin, il y en a une qui explose. Je m'étais dit : "Je vais faire quatre ou cinq récits comme ça." A chaque fois, il devait y avoir une planète qui explose. Cela avait un sens mais je ne me rappelle plus.
  • LC : Vous étiez déjà dans le quatre ou cinq... Parce que la suite de Rork forme un tout. Au début du tome 3, le hibou crie 5 fois " Il revient ".
  • Andreas : Oui...
  • LC : Amusant, cet épisode perdu des " oubliés ". Il reste très métaphorique.
  • Andreas : Et bien, je l'ai fait au milieu de Cromwell Stone 1. Comme j'étais en train de le faire quand ils m'ont demandé de faire une suite à Rork. Y'a plein de petits traits aussi dans cet épisode. Mais c'est un peu vite fait quand même. Et ce n'était pas vraiment fait pour la couleur. La couleur a été rajouté après par l'imprimerie. J'avais donné des indications qui n'ont pas vraiment été respectées. Et cela a donné ce que ça a donné...
  • LC : Je vais terminer sur Rork par une question un peu " double ". On vous parle beaucoup de Rork, je pense. Cette série, vous n'en avez pas un peu " marre " qu'on vous en parle alors que vous avez actuellement trois séries qui...
  • Andreas : Non... Je l'aimais bien. Et puis c'est là-dedans que j'ai tout appris. J'ai essayé plein de choses. J'aime bien en parler et qu'on me pose des questions dessus. Sauf que je n'ai pas toujours les souvenirs qu'il faut. Comme j'oublie assez rapidement ce que je viens de faire quand j'ai fini un album. Parfois, on me pose des questions et je me demande effectivement pourquoi je l'ai fait. De plus, cela a été entrecoupé par d'autres albums que j'ai fait au milieu. Ce n'était pas toujours suivi.
  • LC : Pourtant beaucoup de gens à qui j'ai fait lire la série la trouve très... très... cohérente. Lorsque je leur explique le principe des albums (Fragments et Passages puis ensuite les cinq autres volumes), cela force d'autant plus leur respect.
  • Andreas : Opfff ! Cela a l'air d'être fait exprès mais c'est absolument pas fait exprès.
  • LC : Je pense que c'est cela qui les étonne.
  • Andreas : Je ne sais pas... En fait, j'aime bien ça. Et je continue à faire la même chose. Enfin, un peu moins improvisé mais au fond, c'est toujours ça. C'est ce que je fais avec Capricorne, et avec ARQ aussi. Bien que, ARQ ce soit de façon plus périphérique parce que jusqu'ici, c'est assez net comme histoire. Je peux louvoyer à l'intérieur de ça... Mais c'est ça que j'aime bien.
  • LC : Une petite question sur Cromwell Stone. Vous avez parlé à un moment d'avoir un troisième tome... C'est prévu ?
  • Andreas : Oui, l'année prochaine. Enfin, je le commence l'année prochaine. Avril 2001.
  • LC : Quel planning !
  • Andreas : Je le commence ! Après quand ce sera fini... Je ne le sais pas. Cela prend quand même beaucoup de temps.
  • LC : Vous avez quand même trois séries en court...
  • Andreas : Je vais interrompre ARQ un petit peu. C'est-à-dire je viens de faire le quatrième tome : Racken, qui est sorti. J'ai fait le cinquième. Et là, je commence le sixième. Donc, j'ai les six premiers qui constituent la première partie. Je vais faire Cromwell Stone. Mais je continue les Capricorne, régulièrement. Donc ça...
  • LC : Vous vous mettez à l'aise dans Capricorne au fur et à mesure. Depuis le premier, on vous sentais un peu lié par rapport à l'histoire de Rork.
  • Andreas : Oui. Bien sûr, bien sûr.
  • LC : ... et vous avez un peu cassé vos chaînes sur Déliah.
  • Andreas : Pas encore. Pas encore. Dans celui qui va sortir en janvier, là. Paradoxalement, parce que cela se passe dans un camp de prisonniers ! C'est un peu ça, j'ai un peu plus de...
  • LC : Je dis que vous avez cassé vos chaînes parce que dans Déliah, il y a quelque chose que j'ai rarement vu dans vos albums, c'est l'humour. Il y a beaucoup de second degré.
  • Andreas : Oui, j'avais envie de faire un truc léger aussi parce qu'en général c'est assez sombre... Vous savez... Lourd... (sourires)
  • LC : Cela se voit surtout dans les rapports entre Ash, Astor et Cap. Il s'envoient des " vannes ". C'est quelque chose que l'on va retrouver dans la série ?
  • Andreas : Je crois que cela varie. Ca dépend du moment. Quand j'ai l'impression que cela devient vraiment trop sinistre, alors je... enfin, le prochain sera hyper sinistre. Mais après je ne vais pas pouvoir faire de l'humour non plus, donc cela ne va pas être très...
  • LC : Ce qui est surtout amusant, c'est que vous le fassiez pour cet album à propos du personnage charnière entre les séries Rork et Capricorne.
  • Andreas. Oui. Je ne sais pas pourquoi... Si ! En fait, cela vient de tous les personnages qu'elle rencontre, tous les magiciens, les voyants et tout ça... Comme c'est quelque chose qui m'a toujours semblé ridicule, donc j'ai voulu un peu...
  • LC : C'est votre regard sur ce monde magique alors ? C'est intéressant parce que toutes vos histoires sont plutôt fantastiques.
  • Andreas : Oui, justement. On m'a toujours associé à ça en tant qu'être humain. On pense toujours que je suis dans les messes noires, ces machins là... (rires) Alors que pas du tout. Donc, je me débarrasse de certaines choses de cette façon. Pour qu'on ne fasse pas l'amalgame entre une chose et l'autre. Ce que je fais dans mes histoires, cela n'a rien à voir avec ces choses là. Cela n'a rien à voir avec le fantastique du petit peuple de la forêt. C'est autre chose. J'essaye de cerner un peu.
  • LC : Vous vous sentez proche du fantastique du " peuple de la forêt " ?
  • Andreas : Ah non. Ce n'est pas ça non plus, non. Surtout pas ça. Surtout pas.
  • LC : Une petite question encore sur Capricorne. Les trois premiers volumes avaient une couverture quand ils sont sortis. Vous en avez refait...
  • Andreas : Oui. Malheureusement oui.
  • LC : Oui, cela se sent bien que vous n'avez pas aimé refaire ces couvertures.
  • Andreas : Non. Je ne voyais pas l'utilité d'en faire d'autres, en fait. C'est l'éditeur qui voulait absolument. Et j'espère un jour pouvoir rechanger, et remettre les originales. En général pour moi, un album ça a une couverture. C'est l'idée que j'ai quand je fait l'album. Et après c'est du refait. Du moins bien, quoi. Cela a été ça avec La caverne du souvenir. La première était la meilleure et tout ce que j'ai fait après était moins bien. Pour les Capricorne, je n'avais aucune envie de les refaire. En fait, c'est avec leur collection Troisième vague. Je ne vois vraiment pas ce que je fais là-dedans, mais enfin, bon...
  • LC : Quand vous travaillez votre bande dessinée, la couverture est quelque chose de très important pour vous ?
  • Andreas : En général, oui. Je les fais moi-même. La maquette, le lettrage, je m'en occupe.
  • LC : C'est un autre aspect important dans vos bandes dessinées, la lettre. Je me souviens de ce passage où Wilbur, dans Retour, devient fou. Il y a ce jeu sur le mot lui-même qui devient fou, les lettres sont toutes tordues. En fait, vous allez jusque dans le texte mettre du dessin.
  • Andreas : Je ne sais si c'est du dessin. C'est simplement le moyen de montrer que quelque chose change dans la façon de parler. Je ne me pose pas la question de façon fondamentale. C'est à ce moment là. Il faut ça. Donc je mets ça.
  • LC : Nous allons parler maintenant de l'écriture, sujet qui m'intéresse beaucoup. Comment vous vient l'idée de vos bandes dessinées au départ ? C'est plutôt une envie de montrer, de raconter ou de dire quelque chose ? J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de montrer...
  • Andreas : ... difficile à dire. Ca peut varier, cela peut partir de plein de petits éléments qui s'accumulent dans ma tête et qui donnent une histoire à la fin. Ou cela peut venir d'une idée de base pour une histoire. Ca peut venir d'une image... Le cimetière des cathédrales, j'avais envie de faire ce dessin avec les cathédrales. C'était l'idée centrale et l'histoire elle s'est faite autour. Ca peut venir de n'importe où. C'est évidemment plus simple dans une série. Parce que tout ce qui vient avant appelle d'une certaine façon tout ce qui vient après. Mais dans quelque chose comme Cootoo ou Cromwell Stone, je sais pas, cela vient comme ça.
  • LC : Vous voulez dire quelque chose ? Montrer des images ?
  • Andreas : C'est pas une envie de dire quelque chose. C'est plus le fait de raconter, en fait.
  • LC : Vous vous sentez conteur ?
  • Andreas : En bandes dessinées, oui. Pas autrement.
  • LC : Je lisais l'article sur le site du Lombard où vous parlez de la partie écrite de l'album Le secret de la série Capricorne. On sent que vous n'êtes pas à l'aise à l'écrit, que ce n'est pas votre lieu.
  • Andreas : Pas vraiment. J'aimerais bien. Mais je ne m'en sens pas capable. Je me suis déjà dit : " Tiens, j'écrirais bien un roman, ou quelque chose comme ça. ". Mais en même temps, ce n'est pas moi. Ce serait nul, je crois. Mon mode de narration préféré, c'est la bande dessinée, c'est vraiment ça.
  • LC : Vous vous reconnaissez en lui ?
  • Andreas : Ah oui, tout à fait ! Mais cela a toujours été ça. J'ai toujours été attiré par l'image mais en même temps par les mots. A chaque fois que je lis quelque chose, un roman, un truc qui est vraiment bien écrit ; je suis baba devant. Je me dis " J'aimerais bien savoir faire ça ! ". Enfin, je ne sais pas très bien où je me situe par rapport à l'écriture parce que j'écris. J'ai envie de le faire : il faut un scénario et des dialogues pour mes bandes dessinées donc je le fais pour ça. Maintenant la qualité d'écriture, je n'en ai aucune idée. Je ne sais pas si c'est bien écrit, mal écrit ou n'importe quoi. Enfin, aucune idée. Je ne suis pas très bon juge. Et comme toute mes influences viennent de l'image, tout ce qui est mot, il n'y a pas d'influence. Je mets ce qui me sort de la tête. Mais je n'ai pas d'idoles dans l'écriture.
  • LC : En fait, les mots vous les mettez à l'intérieur des images ou tout est écrit avant ?
  • Andreas : Si, si, tout est écrit avant. Donc, oui, bien sûr, je travaille l'écriture. Mais disons que je n'ai pas de point d'appui pour savoir si c'est bien ou non. C'est fait à l'instinct, quoi. Plus que le dessin.
  • LC : Lorsque j'ai lancé le forum sur BDParadisio, je l'avais intitulé " Les oeuvres d'Andreas ". La graphiste du site " L'oeil qui pense " m'avait fait remarqué, à juste titre, que c'était trop pompeux. Vous même, quand vous parlez de ce que vous faites, vous parlez de récits, de bandes dessinées, de créations, d'albums...
  • Andreas : De bandes dessinées... Ou d'albums. Créations ! ! ! Les mots comme ça, cela me fait peur aussi. J'ai toujours l'impression de... Enfin, écoutez, c'est de la B.D. quoi ! Enfin, non, ce n'est pas ce que je veux dire, ce n'est pas " que de la B.D. ", au contraire ! C'est ce côté... Moi, je ne sais jamais ce que ça vaux. Donc, toute notion de qualité vient de l'extérieur pour moi. Moi, je fais ce que j'ai envie de faire, ce qui me sort des mains. Ce que ça donne après, c'est aux autres de dire, pas à moi. Et puis cela n'a pas une grande importance. Plutôt rester dans des choses plus simples que vouloir " donner des lettres de noblesse à la bande dessinée " ou une connerie pareille (rires)... Ca non.
  • LC : Vous dites " Ce qu'on en pense après, cela n'a aucune importance ". Cela veut dire que ce que vous faites, la bande dessinée, c'est pour vous que vous la faîtes ?
  • Andreas : Ah, en premier lieu, oui. Oui, je le fais pour moi et puis peut-être pour deux trois personnes que j'ai en tête quand je le fais. Cela arrive assez souvent. Je me dis " Tiens, je vais faire ça. Y'a Machin qui va le voir... ". Il y aura une réaction. Cela peut être des dessinateurs, des amis... Enfin, des gens dont le jugement est important pour moi, quoi. Et qui me diront aussi vraiment ce qu'ils pensent. Mais je pense rarement au lecteur. Si je commence comme ça...
  • LC : Vous ne vous arrêtez plus ?
  • Andreas : Oui ! (sourires)
  • LC : On voudrait des albums tous les mois... (rires). Pour revenir à la bande dessinée, sans travail de définition, naturellement, vous la définiriez comment ?
  • Andreas : Oula... Je ne sais pas... C'est un mode de narration... visuel d'abord... En fait, je ne pense pas que je peux donner une définition. La bande dessinée, c'est ce que je fais, quoi ! Le mot et l'image... Plutôt l'image et le mot liés de façon à ce que l'un ne puisse pas exister sans l'autre. Mais... En fait, j'ai toujours lu des bandes dessinées, depuis que je suis tout petit. Je l'ai dans le sang d'une certaine façon... La définition, elle est dans toutes les bandes dessinées que j'ai lues et je fais celles que j'ai envie de lire en fait. Oui, celles que j'aurais envie de lire. Et puis, voilà.
  • LC : Mmmh. Le but n'était pas de vous torturer avec des problèmes de définitions (sourire). On va passer aux thématiques que j'ai repéré lors des lectures de vos albums. Ce sont, bien entendu, des lectures personnelles et en aucun cas LA lecture de vos bandes dessinées. La première thématique est l'identité. La bande dessinée est apparement un médium très proche de vous, qui vous ressemble. Vous signez d'ailleurs toujours de votre prénom. A ce propos, y a-t-il un accent à Andreas ?
  • Andreas : Non, il n'y en a pas.
  • LC : Bien, merci de cette précision. Encore aujourd'hui, j'ai lu un article avec votre nom accentué. La question qui se pose à travers la thématique de l'identité est : Quelle est la part de l'auteur en vous ? N'y a-t-il pas Andreas d'un côté et Andreas Martens de l'autre ?
  • Andreas : Non. Justement, j'ai signé Andreas parce que je ne voulais pas signer Martens. C'est-à-dire que mon prénom, c'est ce qui me différenciait de tout le reste de ma famille en quelque sorte. Donc, c'est une sorte de prise d'identité à ce moment là. Non, quand je travaille c'est toujours...
  • LC : ...fidèle à vous-même.
  • Andreas : Ah oui, oui. Toujours.
  • LC : C'est le double thème sur lequel je voulais glisser, celui de l'identité mais aussi du double. Il traverse vos bandes dessinées, et il est encore présent dans Capricorne qui porte un nom qu'il ne doit pas dire et que nous ne connaissons pas. D'ailleurs, vous le lui volez dans le second tome, c'est ainsi qu'il se nomme vraiment Capricorne, je crois que c'est ce que lui dit Blue Face. Ce principe d'identité, c'est quelque chose dont vous êtes conscient, qui vous travaille et que vous avez envie de travailler ?
  • Andreas : Je ne suis pas sur. De toute façon, il va le retrouver son nom...
  • LC : Oui, on s'en doute (rires)...
  • Andreas : Je ne sais pas, cela aussi c'est quelque chose qui vient instinctivement. Ce n'est pas une question que je me pose vraiment. Car dès que je me pose la question consciemment, d'une certaine façon, je ne peux plus le mettre dedans. Je me dis " Cela va être construit... ". Donc non. Non, et puis je me doutais bien qu'il ne pouvait pas s'appeler Capricorne, donc il fallait qu'il ait un vrai nom. Cela donne lieu à histoire après donc...
  • LC : Le nom Capricorne lui-même est très symbolique.
  • Andreas : Oui !
  • LC : C'est amusant car je me suis senti très proche de Rork à une certaine période de ma vie mais je me sens progressivement de plus en plus proche du personnage de Capricorne. D'ailleurs, nous allons passer à la thématique suivante qui est reliée à ces deux personnages, celle de la recherche, de la quête. Il y a effectivement beaucoup de construction dans vos bandes dessinées mais je n'ai pas l'impression que c'est une volonté de construire. Plutôt que cela vient de vous, de l'intérieur de vous.
  • Andreas : Euh... Oui.
  • LC : Vous êtes quelqu'un qui recherchez beaucoup, à travers la bande dessinée. C'est votre lieu de recherche ?
  • Andreas : Ca l'est devenu, oui, je crois. Ca l'est devenu, je ne m'en suis pas rendu compte, dans les Rork. Parce qu'au début, je faisais ça pour " faire de la B.D. ", créer un personnage. Raconter des histoires, quoi ! Et, avec le temps, cela a pris de plus en plus d'importance. Quelques années après, je relis les histoires, et je vois des choses que j'avais mises à l'époque... Et je me dis : " C'était tout à fait ça ! ".
  • LC : Des morceaux de votre biographie ?
  • Andreas : Euh, oui. Biographie c'est peut-être beaucoup dire, plutôt de mon caractère...
  • LC : Votre état d'esprit à un moment ?
  • Andreas : Oui... C'est encore un grand mot mais c'est une sorte de psychanalyse...
  • LC : Vous allez jusque là !
  • Andreas : Oui, parfois, ça peut l'être. C'est pour cela que je ne ferais jamais d'analyse parce que j'aurais peur de perdre mes idées pour mes histoires.
  • LC : Vous pensez qu'avoir conscience de certaines choses fait perdre ce côté inspiration ?
  • Andreas : C'est possible...
  • LC : Vous ne voulez pas tenter le diable...
  • Andreas : Voilà. Parce qu'il y a des gens qui ont arrêté après. Comme Gotlib ou Mandryka, après ils ont arrêté. Enfin, Gotlib surtout. Ses dernières histoires, c'est des trucs de psychanalyse et puis après ça s'arrête. Terminé. Moi, je ne veux pas de ça. (rire)
  • LC : Cela vous fait trembler ?
  • Andreas : Non, mais j'aime autant pas. Et puis je n'ai pas l'impression d'avoir particulièrement besoin d'une analyse. Mais ce n'est pas tout à fait ça non plus... Il y a certains éléments, vraiment longtemps après, je les vois. Sur le moment, quand je le fais, je ne le vois pas. Longtemps après, je me rends compte...
  • LC : Vous êtes votre premier relecteur !
  • Andreas : Je ne le fais pas systématiquement non plus. Je ne vais pas relire mes anciens albums pour voir des choses. Mais cela m'arrive de re-lire quelque chose... Parfois on me le dit aussi. Surtout ma femme, qui est psychologue, de temps en temps, elle me sort des trucs... " Ah, tiens ? oui. ".
  • LC : Elle était déjà psychologue quand vous l'aviez rencontré ?
  • Andreas : Oui, oui.
  • LC : C'est intéressant.
  • Andreas : Parfois, cela l'effraie un peu ce qu'elle lit dans les histoires, mais enfin... Surtout le dernier ARQ.
  • LC : Racken ?
  • Andreas : Oui.
  • LC : Je ne l'ai pas encore lu !
  • Andreas : Ah bon, d'accord. (sourire).
  • LC : La quête chez vous n'est pas seulement narrative, elle est aussi graphique. Dans Rork, c'est manifeste, mais aussi dans Capricorne. Vous vous essayez à des choses que vous n'aviez pas tenté. On a l'impression que les contraintes sont des éléments moteurs pour vous.
  • Andreas : Ah oui, oui, tout à fait. Pour Le triangle rouge aussi. J'aime bien les contraintes. J'aime bien un certain cadre que j'essaie de pousser un peu. Pratiquement dans tous mes albums. Ca dépend. Des lecteurs aussi. Mais, je crois être quelqu'un de très structuré. J'aime bien dans ma vie quotidienne, en général ma vie privée avoir un cadre assez... Ca c'est mon côté Capricorne ! (rires) Mon côté organisé. Mais j'aime bien aussi comme ça à l'intérieur d'un cadre aller le plus loin possible. Les plus gros problèmes, je les ai avec les histoires où j'ai toute liberté. Quand un éditeur me dit : " Tiens, tu veux me faire un album ?. Tu me fais ce que tu veux ! ". Bon... (rires). Donc là, je suis obligé de me donner des limites que je peux ensuite dépasser ou non, cela dépend. C'est pour ça que j'aime bien les séries, parce qu'il y a déjà un cadre qui est là. Justement, jusqu'où je peux aller pour complètement éclater ce cadre et pourtant rester dans la série. Rester cohérent avec le reste du travail. C'est pour cette raison que je me lance dans des trucs hyper longs. Mais en sachant où je vais. Je ne vais pas tomber à sec après trois albums. Avec ça, je sais que je peux aller très longtemps.
  • LC : D'accord. Un troisième thème dans vos bandes dessinées: celui de l'infiniment grand et de l'infiniment petit. C'est impressionnant comment les petites choses deviennent des choses importantes et les choses importantes deviennent des toutes petites choses. La plus grande métaphore de cette thématique, ce sont les menteurs de Vree dans Rork qui, pendant cinq albums, nous donnent l'impression de diriger le monde, qu'ils savent téléporter des gens à des années-lumière alors qu'ils se trouvent dans la petite pierre. Je vois plein de liens dans cette thématique, notamment avec la citation sur la quatrième de couverture de Cromwell Stone [" ...Car nous sommes de minuscules créatures dans un univers ni bienveillant ni malveillant... Il est simplement énorme et n'a pas conscience de nous, sauf en tant que maillon dans la chaîne de vie. " Harlan Ellison], également avec ce que nous disions tout à l'heure à propos de la forêt, de la Nature. Dans vos bandes dessinées, on a l'impression que l'être est effectivement tout petit et que la Nature reprend en quelque sorte ses droits. Cette grande lutte entre tout ce qui est grand et tout ce qui est petit vous intéresse ? Pour quelle raison ? Cette citation de Ellison, c'est quelque chose que vous ressentez fortement, car elle est omniprésente dans le deuxième Cromwell Stone et communique une toute autre forme d'angoisse que le premier tome...
  • Andreas : Euh... (sourire). Je ne sais pas... C'est la quête de Dieu, quoi ! D'une certaine façon. C'est quelque chose qui me préoccupe toujours. Bon, j'ai été élevé pas vraiment de façon religieuse. Mes parents n'étaient pas particulièrement croyants. Moi je l'étais plus qu'eux.
  • LC : Ah oui ?
  • Andreas : Oui, oui. J'ai eu une période chrétienne très forte. Que j'ai rejetée ensuite. Mais la question est restée, cela n'a pas été remplacé par autre chose. Et justement, c'est encore un vide que je peux remplir avec quelque chose, avec une histoire. Donc, les questions sont " D'où venons-nous ? ", " Qu'est-ce qu'il y a dans l'Univers ? ", " Jusqu'où ça va ? ", " Est-ce que ça s'arrête ? ", " Est-ce que ça ne s'arrête pas ?". Ce sont trucs de... Je ne sais pas comment appeler ça...
  • LC : Vous disiez " une question sur Dieu ". La question c'est " Il existe ? ", " Où est Dieu ? ", " Qui est Dieu ? " ?
  • Andreas : Oui, c'est plutôt " Qui est Dieu " ? Pas où, parce que ça c'est pas vraiment la question je trouve. L'existence ou non, et bien, je n'en sais rien mais, même si c'est l'Homme qui l'a inventé, qu'est-ce qu'il pourrait être ? Qu'est-ce qu'il amène ? Qu'est-ce qu'amène cette invention ? Oui, voilà ! C'est le côté inexplicable en chacun de nous -et en moi- qui m'attire. Enfin, c'est un peu pompeux d'aller jusque là mais, en même temps c'est peut-être un côté qui m'est resté et qui m'a plu dans Lovecraft. C'est ce côté : il y a des choses dans l'Univers qui nous menacent mais de façon insoupçonné et surtout il n'y a AUCUN espoir qu'on puisse faire quoique ce soit... (rires). Donc, ça, j'aime bien... L'inconnu... New York, c'est un peu ça aussi. Cette immense ville dans laquelle je ne suis jamais allé. Je peux fantasmer dessus à l'infini. Je l'invente maintenant, je n'ai plus aucun document quand je dessine New York. Donc c'est à chaque fois constamment inventé. Ca se voit d'ailleurs, mais enfin bon... (rires). Voilà, c'est ça : je peux tout faire à New York, parce que c'est tellement grand. On va sortir de New York aussi... Mais c'est comme cet espace noir dans l'épisode Le cube numérique qui est donc sous la mer. Nous sommes dans le noir de l'espace. On ne sait pas où on est. Et puis il y a des choses là-dedans.
  • LC : C'est la perte de repères.
  • Andreas : Oui, c'est ça. C'est tout à fait ça.
  • LC : Cela intéresserait beaucoup les américains de savoir que vous faites une analogie entre le divin et New York (rires).
  • Andreas : Je ne sais pas si j'irais jusque là ! ! Non, New York, c'est plutôt le concret. C'est le monde dans lequel bouge les personnages. Mais cela cache des choses bien sûr. En dessous surtout.
  • LC : Un monde souterrain.
  • Andreas : Oui.
  • LC : C'est d'ailleurs comme cela que commence la série Capricorne : Ash court dans un souterrain et à la dernière case, il y a une ouverture vers le ciel, l'espace.
  • Andreas : Mmh Mmh.
  • LC : Une petite question à part de la part de Stéphane Hanczyk qui a écrit l'article " Hibou y es-tu ? ". Il s'était beaucoup amusé justement avec tout ce qui est hibou. C'est quelque chose qui lui a beaucoup beaucoup parlé. Il travaille sur la symbolique du corps, la mythologie grecque... Il voit encore d'autres choses très très personnelles à l'intérieur du travail que vous faites. Et donc là je me fais un peu son ambassadeur, il avait une petite question, et vous me l'avez rappelé au moment où vous avez parlé de " créateur ". Je pense en fait à ces immenses... (hésitation)
  • Andreas : bestioles, oui ?
  • LC : ses immenses animaux... Ces "bestioles", exactement oui (sourires). Il y a d'abord le Passeur qui est cette chose sublime qui inspire à la fois le respect et la crainte...
  • Andreas : Il y en a dans Cromwell Stone aussi.
  • LC : Tout à fait. Une explication qui est donnée dans Cromwell Stone, Il y en a un qui a dérivé, qui a créé cette situation. Stéphane voyait une image du travail que vous faites en B.D. De plus, en vous entendant parler de votre travail, je comprends que c'est très personnel pour vous, pratiquement une analyse. En faisant cela, vous créez un monde que l'on ne retrouve nulle part ailleurs.
  • Andreas : Peut-être. Peut-être. Je ne sais pas... Oui, je n'ai jamais vu ça comme ça, mais...
  • LC : Cela peut ne rien vous inspirer... (sourires)
  • Andreas : Comme il va y avoir un troisième volume...
  • LC : Oui, vous devez avoir un autre point de vue que nous, lecteurs.
  • Andreas : Oui. Même dans le premier déjà.
  • LC : Dans le premier, c'est encore au niveau humain, il y quelque chose d'inquiétant mais ce sont les maisons, l'angoisse, l'oppression. Dans le deuxième, surtout avec cette double planche -qui, apparemment, vous avez donné beaucoup de mal...
  • Andreas : Oh oui !
  • LC : On voit que c'est le ciel qui est en jeu.
  • Andreas : Oui, oui. C'est ça.
  • LC : En fait, dans une toute petite série comme Cromwell Stone, vous avez mis beaucoup beaucoup de choses de vous déjà.
  • Andreas : Oui !
  • LC : Nous allons parler un peu du Web, puisque nous y sommes. Vous connaissez le site comment ?
  • Andreas : Je vais rarement sur le Web. C'est l'ordinateur de ma femme que j'utilise. Ce doit être les éditions du Lombard qui m'en ont parlé... Quelqu'un d'autre m'avait montré le site... Ah oui ! C'est mon beau-frère qui est très ordinateurs. Il avait saisi Andreas ou Rork et il avait trouvé le site. Il me l'avait imprimé et me l'avait envoyé.
  • LC : Est-ce que cela vous intéresserait de travailler pour le médium Web ? Parce qu'il y a certaines analogies entre le réseau Internet et les univers complexes que vous créez. Comme sur Internet, dans vos bandes dessinées, au moment où l'on a l'impression d'avoir tenu quelque chose dans le volume d'après, ou vous attendez deux volumes pour pouvoir ensuite nous déstabiliser et puis pouf ! vous partez sur autre chose. Ou alors ça continue dans la même logique mais en fait on ne se serait jamais attendu à ça, c'est la surprise...
  • Andreas : Oui...
  • LC : Et c'est pour ça que je trouvais très intéressant de faire quelque chose à propos de vos récits sur le Web. Ma volonté, quand j'ai travaillé avec Raïssa, la graphiste qui s'est occupé de toute la conception graphique, était de partir de la métaphore de l'oeil. Mais elle a préféré, vous avez du les reconnaître, les labyrinthes de Cyrrus, Mil et Le cimetière des cathédrales... Parce qu'elle m'a dit " L'oeil, on le trouve partout sur le Web... "
  • Andreas : Oui... J'imagine...
  • LC : Elle justifiait son choix du labyrinthe en parlant de vos structures qui sont effectivement labyrinthiques...
  • Andreas : Mmh mmh.
  • LC : Et, en même temps, le Web a cette particularité...
  • Andreas : C'est pareil, c'est ça aussi, oui...
  • LC : On ne sait pas ce qu'on trouve, on ne sait pas où on va. On dit qu'on " surfe " mais en fait on est perdu.
  • Andreas : Voilà.
  • LC : Et on essaie de trouver.
  • Andreas : Oui
  • LC : Ce n'est pas quelque chose qui vous attire ? De faire quelque chose exprès pour ça, pour le Web qui a cette...
  • Andreas : Non. (rire). Non ! Je me suis posé la question, non. Mais ça c'est particulier au mode d'expression, quoi. C'est à dire que ce que j'aime bien entre autres dans la bande dessinée c'est le côté : on tient tout... toute l'histoire dans la main... Et on peut revenir en arrière... Je sais pas, si à la page 23 on voit quelque chose... On se dit " Tiens j'ai vu ça déjà à la page 2 ou 3 " ou, enfin quelque part au début on peut feuilleter, on peut retrouver parce que c'est visuel. Ce qui ne peut pas se faire dans un roman, il faudrait chercher plus longtemps
  • LC : Exactement, c'est pas évident.
  • Andreas : Dans un film, on ne peut pas le faire sauf si on a une cassette ou un DVD. Mais c'est pas la même chose, on a pas toujours pratiquement tout sous les yeux. Et sur le Web, c'est... Et puis ce qui me gêne aussi, c'est le côté lecture sur un écran. Pas pour une image, mais pour un texte. C'est quelque chose qui... C'est pas...
  • LC : Ca ne vous plaît pas...
  • Andreas : Ce n'est pas au point, ça. Si j'ai un écran, et s'il y a du son, pourquoi y'a pas de son ? Cela voudrait dire qu'on pourrait mettre un son à ce moment là. Et alors là ce n'est plus de la bande dessinée comme moi je la définis en quelque sorte.
  • LC : Tout à fait.
  • Andreas : Justement, l'absence de son, elle est en même temps... très limitante et... très intéressante. Parce que comment faire les sons sans faire des onomatopées ? Ca, y'a rien qui m'embête plus que les onomatopées. De temps en temps, je suis obligé d'en mettre une et ça me... Parce que le lettrage dans l'image, je n'aime pas ça, quoi.
  • LC : J'ai en tête l'image du train qui passe à l'intérieur de Capricorne dans lequel vous avez mis RRRRRRRRRRRR comme ca.
  • Andreas : Oui !
  • LC : C'est une onomatopée, mais elle est tellement à l'intérieur de l'image qu'on a l'impression que c'est le train qui... C'est une onomatopée " plus ", on a l'impression que c'est le train qui parle, pratiquement.
  • Andreas : Mmh, mmh. Mais c'est toujours emmerdant. C'est toujours quelque chose qui me... Et c'est très difficile à faire. Comment vous voulez faire faire quelque chose à un personnage qui entend quelque chose et qui réagit par rapport au son ?... Hyper difficile. On s'était posé la question avec Trondheim à un moment donné : comment faire sonner un téléphone sans onomatopée, quoi ! Et sans le truc humoristique avec le combiné qui bouge ou quelque chose comme ça. Et là, il faut plusieurs images pour montrer, rien que montrer qu'un téléphone sonne et c'est...
  • LC : Vous l'avez fait dans un des Capricorne si je me souviens bien. A un moment une personne tourne la tête justement et décroche le téléphone. Je crois même que c'est Capricorne qui le fait.
  • Andreas : Oui, oui, c'est possible, oui. Cela a du être juste après...
  • LC : Après votre discussion... Le fruit de votre discussion !
  • Andreas : Voilà, exactement ! (rires)
  • LC : C'est tout à fait vrai ce que vous dites sur le Web, et c'était quelque chose que j'avais noté : on ne peut pas tout tenir dans la main. Et c'est quelque chose de gênant pour vous.
  • Andreas : Oui, ça me gêne ça. Et puis j'aime bien le papier.
  • LC : C'est une question de PASSION !
  • Andreas : Oui, voilà ! (rires) C'est aussi une question d'original. Pour moi, l'original, c'est l'album, quoi. C'est pas la page dessinée. La page dessinée, c'est une étape.
  • LC : Ah oui ?
  • Andreas : Pour moi, l'original, c'est l'album. Parce que c'est le but du truc. Si vous avez une planche dans la main, vous ne pouvez pas la lire. Vous pouvez la lire, mais c'est hors contexte, y'a pas les couleurs... L'original, c'est l'album, c'est pas le dessin, c'est juste un machin...
  • LC : Vous avez du vous accrochez avec des gens avec ça parce que...
  • Andreas : Oui, bien sûr, avec tous ceux qui veulent faire des expositions de planches !
  • LC : Le vocabulaire tel que vous l'utilisez là, c'est celui qui est utilisé pour " c'est la planche originale de... ". Alors que, pour vous, l'original, c'est l'album original de...
  • Andreas : Exactement.
  • LC : Donc, vous êtes carrément plus attaché à l'édition " Histoires et légendes " de Fragments ? Ou c'est quand même pour vous autre chose que d'avoir ressorti Fragments dans une collection Rork propriétaire ?
  • Andreas : Ca, c'est pareil. Du moment que c'est un album. Non, c'est surtout par rapport aux " originaux " entre guillemets qui sont exposés. Et puis hier soir j'étais avec ma fille dans l'exposition Loisel. On a regardé toutes les illustrations, et tout ça... Puis on est passé aux planches. Ma fille elle m'a dit " Ouais, pfff, les planches ". Elle en a regardé deux, trois et puis elle en avait marre. Et c'est vrai que regarder des planches, comme ça, dans une exposition, pour moi aussi, cela devient très vite lassant. Parce que, oui, d'accord, c'est du dessin, et cætera, et puis on peut voir qu'il a mis du blanc et tout... Mais ça n'a pas de sens vraiment. Qu'une illustration, bon, c'est une image, ça tient tout seul, ça n'a pas d'autre sens, à part comme pour une illustration de couverture ou quelque chose... Mais une page de bande dessinée, à moins que ce soit un gag, qui tient en une page, ça reste toujours un truc arraché au contexte. En plus, les pages sont grandes, elles sont faites pour être réduites, et cætera... Pour moi c'est vraiment : l'album.
  • LC : Une partie d'un tout.
  • Andreas : C'est ce qu'il y a dans l'album qui est... Dans toutes les éditions en grand, en noir et blanc, et tout, enfin... le deuxième Rork, y'a eu ça. J'aimais pas ça du tout parce que c'était du noir et blanc et grand et je voulais ça en petit et en couleurs.
  • LC : Donc, la version limitée de Cromwell Stone, c'est pas quelque chose que vous...
  • Andreas : Plus ! Parce que je me rends compte que ça marche mieux en grand qu'en petit, en fait.
  • LC : C'est ce que vous aviez dit.
  • Andreas : C'est parce que j'avais mis trop de choses dedans. J'avais trop chargé. Un peu allégé parce que je m'étais... un peu emballé là dessus... (rires) C'est le moins qu'on puisse dire. Et je vais refaire la double page avec les bateaux parce que je suis vraiment pas content de celle là.
  • LC : Ah oui ?
  • Andreas : Oui
  • LC : Donc il y aura une réédition...
  • Andreas : Je vais essayer de le faire, pour l'intégrale... Parce que Delcourt va faire une intégrale avec les trois. Et en même temps sortir une affiche ou quelque chose comme ça au format original, pour les gens qui ne veulent pas racheter l'intégrale. Je trouve ça plus... Parce que je n'aime pas refaire des illustrations comme j'ai fait pour la réédition des Rork. Mais c'était le seul moyen de virer la préface du premier, c'était de mettre des illustrations.
  • LC : Ah, c'était pour faire partir la préface de François Rivière ?
  • Andreas : Oui.
  • LC : Parce qu'elle parlait de 92 planches ? Elle était plus...
  • Andreas : Oui, elle était assez... Oui, et puis j'aime pas les préfaces en général. Parce que d'abord personne ne les lit. Enfin, pratiquement personne... Et puis c'était assez limité dans le temps. Et puis il dit un truc à la fin du genre... Qui était tourné vers l'avenir... Du genre " un talent qui va... ", bla bla bla. J'aime pas les préfaces. Et justement, dans Histoires et légendes, si j'ai commencé à faire toutes ces choses avant à chaque fois les histoires de Rork, c'est justement pour qu'il n'y ait pas de préface. Parce qu'ils voulaient à chaque fois une préface, donc.
  • LC : A l'intérieur de Rork, ils avaient demandé une préface à chaque fois ?
  • Andreas : Dans la collection Histoires et légendes, oui, pour chaque album, ils voulaient une préface. Donc ce qui a donné, à chaque fois, ces petits dossiers, ou des bouts d'histoires ou des choses comme ça.
  • LC : Ah oui, d'accord, encore une contrainte que vous avez contourné à votre avantage.
  • Andreas : Voilà. (sourire)
  • LC : Je n'avais pas fait le rapprochement, c'est vrai.

J'aime beaucoup le travail que vous avez commencé avec Durieux sur Mobilis. Il est très intéressant. Très différent de votre style qui n'est ni réaliste, ni irréaliste. C'est votre style on va dire...

  • Andreas : Oui.
  • LC : Le style de Durieux est largement plus réaliste. C'était volontaire de travailler avec quelqu'un qui ait ce style plus réaliste ?
  • Andreas : Pour cette histoire là, il me fallait quelqu'un qui ait un style plus réaliste parce qu'il devait pouvoir dessiner des trucs très quotidiens : le mec qui s'emmerde chez lui,...
  • LC : On se sent très proches des personnages.
  • Andreas : Jusque là, ce qui m'a surtout fasciné, c'est la mécanique de l'histoire. C'est le labyrinthe, en quelque sorte mais ce n'était pas les personnages. Et dans l'histoire pour Durieux, j'ai essayé d'écrire plus les personnages. Dans ARQ aussi. Cela part d'une plus grande volonté de travailler cet aspect à l'intérieur de la structure de l'histoire. Et ça, c'est un côté qui me manquait... Et puis, on me l'a dit, plus qu'une fois, que mes personnages étaient assez froids, assez inexistants quelque part. C'étaient des petit pois, des petits rouages dans la mécanique de l'histoire. Et donc, j'ai envie plus de...
  • LC : C'est amusant que vous utilisiez l'adjectif " froid " pour vos personnages, je pense à la prostituée dans ARQ qui a une affinité forte avec la chaleur
  • Andreas : Justement, ARQ c'est l'après. Là, j'essaie consciemment de travailler les personnages. C'est pour cela qu'on raconte toute leur vie.
  • LC : Oui, il y a deux tomes... Cela va avec un changement en vous, ce passage des grandes mécaniques célestes à une vie intérieure des personnages ?
  • Andreas : Non, c'est plus une volonté parce qu'on me l'a dit. Et je m'en suis rendu compte après. C'est vrai que ce qui m'intéresse, le moment le plus magique, c'est entre le scénario et le dessin. Quand je peux mettre en route, mettre en page, découper et tout ça. Et ça, j'adore ça, c'est la mécanique de l'histoire, de la narration en fait. C'est ce que je préfère. Et puis après je me suis dis : " Il faut que je soigne un peu plus mes personnages " parce que ça aussi, c'est un moteur pour l'histoire. Et, en fait, j'y entre assez facilement... Le fait que Julian, dans ARQ, n'arrête pas de se suicider, c'est venu tout naturellement. Une fois que j'avais mis ça en route au départ... Et bien en l'écrivant : bon, il continue à se suicider. Et cela collait très bien avec l'histoire. Les personnages peuvent amener plein de choses. Et je n'avais pas remarqué ça auparavant. C'était plus par les éléments de l'histoire que par le caractère ou la personnalité des personnages.
  • LC : Vous êtes très proche du passage ou Rork décide de ne plus se laisser guider par les évènements. C'est votre côté Descente.
  • Andreas : (rire) Oui, voilà.
  • LC : C'est intéressant car beaucoup de personnes n'apprécie pas cet album, et c'est pour cette raison que j'ai écrit l'article " Descente : le premier Retour de Rork ". Rork n'aurait pas pu arriver à revenir s'il n'était pas descendu...
  • Andreas : Il y aura un album similaire dans Capricorne. Mais ce ne sera pas fini après.
  • LC : Capricorne connaîtra aussi sa descente ?
  • Andreas : D'une certaine façon, oui, il aura sa Descente. Mais ce sera dans le... 14ème tome.
  • LC : ! ! !  Ah, vous voyez très très loin pour Capricorne.
  • Andreas : Jusqu'à 21.
  • LC : Les chiffres, c'est important pour vous ? 3 fois 7 ?
  • Andreas : Non, en fait, c'est jusqu'à 20 et il y a 21 parce que jusqu'au 20 , il y a quelque chose que je peux pas dire. Donc je dois le dire dans le 21. Sinon le 20 n'a plus aucun... Mais cela continuera après. Enfin j'espère. Mais je ne ferais plus de grandes sagas, machin... Je ferais justes des histoires. Il y a déjà un passage comme ça jusqu'au 20ème entre le 11ème jusqu'au 15ème. Ce sont des histoires complètes. Voilà.
  • LC : Encore une dernière question, c'est celle que j'ai appelé la " Question subsidiaire ". En fait, lorsque j'ai créé " L'oeil qui pense ", on venait de m'offrir l'intégrale Cyrrus-Mil. Et il y a une question qui m'obsédait, et c'est pour cela que j'avais créé un lieu dans lequel j'écrirais quelque chose. Je ne l'ai jamais écrit parce que j'avais mis en route le forum qui se trouve sur BDparadisio dans lequel j'avais posé la question. Il y a eu beaucoup, beaucoup de gens qui ont répondu. C'est la fameuse phrase de la fin de Mil.
  • Andreas : Ah oui, oui : " Je sais qui vous êtes ".
  • LC : Vous comptez y répondre un jour ? On peut tout savoir en lisant l'album ? Ou...
  • Andreas : Théoriquement, oui, on peut le savoir. C'est pas... Enfin, moi, ça m'étonne toujours qu'on trouve pas. Je trouve ça tellement évident. En fait, c'est pas vraiment un personnage des histoires, en fait. C'est plutôt... Enfin, je peux le dire : c'est la mort, quoi. Y'a pas de secret, vraiment. Mais une ou deux fois, y'a des petites phrases du genre... " Il est immortel, et ça il ne peut pas le supporter. " Et qui ne peut pas supporter l'immortalité, et bien c'est la mort.
  • LC : Oui, ben je n'aurais jamais trouvé.
  • Andreas : Oui, il y a plein de gens qui m'ont dit la même chose, donc ce n'était pas très clair apparemment.
  • LC : Ce n'est pas seulement que ce n'est pas très clair, c'est que ce personnage a une telle dimension... Je pense qu'en fait on a trouvé parce qu'on n'a pas trouvé. En ne le trouvant pas, on le trouve parce qu'on ne veut pas le voir. Donc, peut-être que vous êtes allé encore plus loin...
  • Andreas : (rire) Oui, mais, enfin... Faut pas non plus...
  • LC : Ce n'est pas du tout pour vous envoyer des fleurs, l'idée ce n'est pas ça. C'est qu'effectivement, maintenant que vous me le dites, cela me semble évident. Après quand je reviendrais chez moi, je le lirais, et je pense que cela m'amènera une cohérence. Mais je pense que cela ne m'amènera qu'UNE cohérence dans l'histoire. Parce que vous avez vu les pages et les pages de gens qui ont écrit " Oui, alors voilà, y'a telle force donc telle force... ". C'est plutôt celui qui représente le mal, le malin, le diable... Y'a des tas d'interprétations.
  • Andreas : Alors que pour moi, la mort, ce n'est pas le mal. C'est neutre. C'est pour cela qu'il y a Yosta dans les 4 cavaliers de l'Apocalypse.
  • LC : Oui, effectivement, c'est ce que tout le monde s'est demandé, pourquoi Yosta ?
  • Andreas : Parce que Yosta, il représente la mort, donc c'est sans valeur. C'est pas un méchant. C'est pas un bon, non plus.
  • LC : D'accord. Cela veut dire que les 4 cavaliers de l'Apocalypse sont des forces qui ne sont ni bonnes, ni méchantes aussi ?
  • Andreas : Les trois autres sont plutôt négatives quand même. Je ne sais plus ce que c'est... C'est la pestilence, la famine et la guerre ! Là dedans, la mort me semble... Oui.. C'est pas nécessairement négatif. C'est quelque chose qui de toute façon arrive, donc ça... Les autres, c'est... On peut faire quelque chose, quand même. Surtout la guerre ou la famine. Donc, pour moi, ce personnage dans Mil, c'est pas un méchant. Et d'ailleurs, à la fin, ils ne sont pas en opposition.
  • LC : Oui, c'est plutôt de la complicité.
  • Andreas : Voilà. C'est le moment où Bachman sait qu'il va mourir.
  • LC : Mais, en même temps, le fait que tout va mourir, cela préfigure déjà qu'il va y avoir une vie après. C'est pas quelque chose de négatif. Même du point de vue de la planète, vous avez gardé l'idée que la mort est neutre... Pas un passage mais... En tout cas qu'elle fait partie du cycle de la vie.
  • Andreas : Voilà.
  • LC : D'accord. Et bien j'ai ma réponse. C'est formidable. (rires). Merci beaucoup pour toutes ces réponses.
  • Andreas : C'est moi qui vous remercie.

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