Un entretien
exclusif avec Andreas
Entretien réalisé par Laurent CARCELES
(LC)
Festival Quai des bulles 28 octobre 2000
- LC : Normalement, il y a une dizaine de questions, pas plus
- Andreas : Oui, oui. J'ai tout mon temps
- LC : D'accord. Je vais commencer par une petite question sur
Rork. Au début de Fragments, la réédition
si je ne me trompe pas, il y a des grandes illustrations qui ont été
rajoutées en noir et blanc.
- Andreas : Oui.
- LC : Il y en a une qui est particulièrement, on va dire
" amusante ", qui représente des tableaux
accrochés à un mur. On y voit une bougie éclairant
un papier peint représentant des hiboux. Cette illustration a-t-elle
été faite avant la fin de Rork ou après ?
- Andreas : Cela dépend... Quand ils l'ont réédité
? Je ne me rappelle pas exactement. Je ne sais plus, il faudrait regarder
au début la date d'impression pour voir si cela correspond. Je
suppose après. C'est-à-dire qu'ils ont commencé
à rééditer à partir de... Descente.
Oui, c'est là que ça a changé. Donc, il y a Descente,
Retour. Cela se situe vers la fin ou après.
- LC : Il est très joli ce dessin. Pour les gens qui connaissent
Rork, c'est un beau clin d'oeil. Je n'ai que l'ancienne édition,
c'est un ami à qui j'avais conseillé vos récits
qui m'a dit : " Tiens, j'ai repéré quelque
chose, je vais te le montrer ". Il me l'a photocopié
en très bonne qualité et me l'a offert dans un cadre.
Je pense que vous avez vu, sur le site, je me suis
permis de récupérer l'épisode Les oubliés
de Rork que je ne connaissais pas et qu'un canadien m'a envoyé.
Cela a été d'ailleurs tout un réseau car lui-même
ne possédais ni le Super Tintin, ni de scanner. (sourires). Vous
avez écrit cet épisode après les 92 planches ?
L'idée était de faire revenir Rork ?
- Andreas : Oui. J'avais arrêté de travailler pour
Le Lombard à ce moment là. Et puis il m'ont demandé
cette histoire là. Je me suis dis : "Je vais faire en sorte que
je puisse l'intégrer dans un album plus tard." Quand ils ont
sorti Fragments, cela s'est bien vendu. Ils m'ont donc demandé
de continuer directement des grandes histoires. Donc celle-là,
elle est restée un peu sans suite.
- LC : Pourtant, elle s'intègre bien. Elle pourrait...
- Andreas : Pas vraiment parce que... Au début on voit quatre
ou cinq planètes, et puis à la fin, il y en a une qui
explose. Je m'étais dit : "Je vais faire quatre ou cinq récits
comme ça." A chaque fois, il devait y avoir une planète
qui explose. Cela avait un sens mais je ne me rappelle plus.
- LC : Vous étiez déjà dans le quatre ou cinq...
Parce que la suite de Rork forme un tout. Au début du tome 3,
le hibou crie 5 fois " Il revient ".
- Andreas : Oui...
- LC : Amusant, cet épisode perdu des " oubliés ".
Il reste très métaphorique.
- Andreas : Et bien, je l'ai fait au milieu de Cromwell Stone
1. Comme j'étais en train de le faire quand ils m'ont demandé
de faire une suite à Rork. Y'a plein de petits traits
aussi dans cet épisode. Mais c'est un peu vite fait quand même.
Et ce n'était pas vraiment fait pour la couleur. La couleur a
été rajouté après par l'imprimerie. J'avais
donné des indications qui n'ont pas vraiment été
respectées. Et cela a donné ce que ça a donné...
- LC : Je vais terminer sur Rork par une question un peu
" double ". On vous parle beaucoup de Rork,
je pense. Cette série, vous n'en avez pas un peu " marre "
qu'on vous en parle alors que vous avez actuellement trois séries
qui...
- Andreas : Non... Je l'aimais bien. Et puis c'est là-dedans
que j'ai tout appris. J'ai essayé plein de choses. J'aime bien
en parler et qu'on me pose des questions dessus. Sauf que je n'ai pas
toujours les souvenirs qu'il faut. Comme j'oublie assez rapidement ce
que je viens de faire quand j'ai fini un album. Parfois, on me pose
des questions et je me demande effectivement pourquoi je l'ai fait.
De plus, cela a été entrecoupé par d'autres albums
que j'ai fait au milieu. Ce n'était pas toujours suivi.
- LC : Pourtant beaucoup de gens à qui j'ai fait lire la
série la trouve très... très... cohérente.
Lorsque je leur explique le principe des albums (Fragments et
Passages puis ensuite les cinq autres volumes), cela force d'autant
plus leur respect.
- Andreas : Opfff ! Cela a l'air d'être fait exprès
mais c'est absolument pas fait exprès.
- LC : Je pense que c'est cela qui les étonne.
- Andreas : Je ne sais pas... En fait, j'aime bien ça. Et
je continue à faire la même chose. Enfin, un peu moins
improvisé mais au fond, c'est toujours ça. C'est ce que
je fais avec Capricorne, et avec ARQ aussi. Bien que,
ARQ ce soit de façon plus périphérique parce
que jusqu'ici, c'est assez net comme histoire. Je peux louvoyer à
l'intérieur de ça... Mais c'est ça que j'aime bien.
- LC : Une petite question sur Cromwell Stone. Vous avez
parlé à un moment d'avoir un troisième tome...
C'est prévu ?
- Andreas : Oui, l'année prochaine. Enfin, je le commence
l'année prochaine. Avril 2001.
- LC : Quel planning !
- Andreas : Je le commence ! Après quand ce sera fini...
Je ne le sais pas. Cela prend quand même beaucoup de temps.
- LC : Vous avez quand même trois séries en court...
- Andreas : Je vais interrompre ARQ un petit peu. C'est-à-dire
je viens de faire le quatrième tome : Racken, qui
est sorti. J'ai fait le cinquième. Et là, je commence
le sixième. Donc, j'ai les six premiers qui constituent la première
partie. Je vais faire Cromwell Stone. Mais je continue les Capricorne,
régulièrement. Donc ça...
- LC : Vous vous mettez à l'aise dans Capricorne au
fur et à mesure. Depuis le premier, on vous sentais un peu lié
par rapport à l'histoire de Rork.
- Andreas : Oui. Bien sûr, bien sûr.
- LC : ... et vous avez un peu cassé vos chaînes sur
Déliah.
- Andreas : Pas encore. Pas encore. Dans celui qui va sortir en
janvier, là. Paradoxalement, parce que cela se passe dans un
camp de prisonniers ! C'est un peu ça, j'ai un peu plus
de...
- LC : Je dis que vous avez cassé vos chaînes parce
que dans Déliah, il y a quelque chose que j'ai rarement
vu dans vos albums, c'est l'humour. Il y a beaucoup de second degré.
- Andreas : Oui, j'avais envie de faire un truc léger aussi
parce qu'en général c'est assez sombre... Vous savez...
Lourd... (sourires)
- LC : Cela se voit surtout dans les rapports entre Ash, Astor
et Cap. Il s'envoient des " vannes ". C'est quelque
chose que l'on va retrouver dans la série ?
- Andreas : Je crois que cela varie. Ca dépend du moment.
Quand j'ai l'impression que cela devient vraiment trop sinistre, alors
je... enfin, le prochain sera hyper sinistre. Mais après je ne
vais pas pouvoir faire de l'humour non plus, donc cela ne va pas être
très...
- LC : Ce qui est surtout amusant, c'est que vous le fassiez pour
cet album à propos du personnage charnière entre les séries
Rork et Capricorne.
- Andreas. Oui. Je ne sais pas pourquoi... Si ! En fait, cela vient
de tous les personnages qu'elle rencontre, tous les magiciens, les voyants
et tout ça... Comme c'est quelque chose qui m'a toujours semblé
ridicule, donc j'ai voulu un peu...
- LC : C'est votre regard sur ce monde magique alors ? C'est
intéressant parce que toutes vos histoires sont plutôt
fantastiques.
- Andreas : Oui, justement. On m'a toujours associé à
ça en tant qu'être humain. On pense toujours que je suis
dans les messes noires, ces machins là... (rires) Alors que pas
du tout. Donc, je me débarrasse de certaines choses de cette
façon. Pour qu'on ne fasse pas l'amalgame entre une chose et
l'autre. Ce que je fais dans mes histoires, cela n'a rien à voir
avec ces choses là. Cela n'a rien à voir avec le fantastique
du petit peuple de la forêt. C'est autre chose. J'essaye de cerner
un peu.
- LC : Vous vous sentez proche du fantastique du " peuple
de la forêt " ?
- Andreas : Ah non. Ce n'est pas ça non plus, non. Surtout
pas ça. Surtout pas.
- LC : Une petite question encore sur Capricorne. Les trois
premiers volumes avaient une couverture quand ils sont sortis. Vous
en avez refait...
- Andreas : Oui. Malheureusement oui.
- LC : Oui, cela se sent bien que vous n'avez pas aimé refaire
ces couvertures.
- Andreas : Non. Je ne voyais pas l'utilité d'en faire d'autres,
en fait. C'est l'éditeur qui voulait absolument. Et j'espère
un jour pouvoir rechanger, et remettre les originales. En général
pour moi, un album ça a une couverture. C'est l'idée que
j'ai quand je fait l'album. Et après c'est du refait. Du moins
bien, quoi. Cela a été ça avec La caverne du
souvenir. La première était la meilleure et tout ce
que j'ai fait après était moins bien. Pour les Capricorne,
je n'avais aucune envie de les refaire. En fait, c'est avec leur collection
Troisième vague. Je ne vois vraiment pas ce que je fais là-dedans,
mais enfin, bon...
- LC : Quand vous travaillez votre bande dessinée, la couverture
est quelque chose de très important pour vous ?
- Andreas : En général, oui. Je les fais moi-même.
La maquette, le lettrage, je m'en occupe.
- LC : C'est un autre aspect important dans vos bandes dessinées,
la lettre. Je me souviens de ce passage où Wilbur, dans Retour,
devient fou. Il y a ce jeu sur le mot lui-même qui devient fou,
les lettres sont toutes tordues. En fait, vous allez jusque dans le
texte mettre du dessin.
- Andreas : Je ne sais si c'est du dessin. C'est simplement le
moyen de montrer que quelque chose change dans la façon de parler.
Je ne me pose pas la question de façon fondamentale. C'est à
ce moment là. Il faut ça. Donc je mets ça.
- LC : Nous allons parler maintenant de l'écriture, sujet
qui m'intéresse beaucoup. Comment vous vient l'idée de
vos bandes dessinées au départ ? C'est plutôt
une envie de montrer, de raconter ou de dire quelque chose ? J'ai
l'impression qu'il y a beaucoup de montrer...
- Andreas : ... difficile à dire. Ca peut varier, cela peut
partir de plein de petits éléments qui s'accumulent dans
ma tête et qui donnent une histoire à la fin. Ou cela peut
venir d'une idée de base pour une histoire. Ca peut venir d'une
image... Le cimetière des cathédrales, j'avais
envie de faire ce dessin avec les cathédrales. C'était
l'idée centrale et l'histoire elle s'est faite autour. Ca peut
venir de n'importe où. C'est évidemment plus simple dans
une série. Parce que tout ce qui vient avant appelle d'une certaine
façon tout ce qui vient après. Mais dans quelque chose
comme Cootoo ou Cromwell Stone, je sais pas, cela vient
comme ça.
- LC : Vous voulez dire quelque chose ? Montrer des images ?
- Andreas : C'est pas une envie de dire quelque chose. C'est plus
le fait de raconter, en fait.
- LC : Vous vous sentez conteur ?
- Andreas : En bandes dessinées, oui. Pas autrement.
- LC : Je lisais l'article sur le site du Lombard où vous
parlez de la partie écrite de l'album Le secret de la
série Capricorne. On sent que vous n'êtes pas à
l'aise à l'écrit, que ce n'est pas votre lieu.
- Andreas : Pas vraiment. J'aimerais bien. Mais je ne m'en sens
pas capable. Je me suis déjà dit : " Tiens,
j'écrirais bien un roman, ou quelque chose comme ça. ".
Mais en même temps, ce n'est pas moi. Ce serait nul, je crois.
Mon mode de narration préféré, c'est la bande dessinée,
c'est vraiment ça.
- LC : Vous vous reconnaissez en lui ?
- Andreas : Ah oui, tout à fait ! Mais cela a toujours
été ça. J'ai toujours été attiré
par l'image mais en même temps par les mots. A chaque fois que
je lis quelque chose, un roman, un truc qui est vraiment bien écrit ;
je suis baba devant. Je me dis " J'aimerais bien savoir faire
ça ! ". Enfin, je ne sais pas très bien
où je me situe par rapport à l'écriture parce que
j'écris. J'ai envie de le faire : il faut un scénario
et des dialogues pour mes bandes dessinées donc je le fais pour
ça. Maintenant la qualité d'écriture, je n'en ai
aucune idée. Je ne sais pas si c'est bien écrit, mal écrit
ou n'importe quoi. Enfin, aucune idée. Je ne suis pas très
bon juge. Et comme toute mes influences viennent de l'image, tout ce
qui est mot, il n'y a pas d'influence. Je mets ce qui me sort de la
tête. Mais je n'ai pas d'idoles dans l'écriture.
- LC : En fait, les mots vous les mettez à l'intérieur
des images ou tout est écrit avant ?
- Andreas : Si, si, tout est écrit avant. Donc, oui, bien
sûr, je travaille l'écriture. Mais disons que je n'ai pas
de point d'appui pour savoir si c'est bien ou non. C'est fait à
l'instinct, quoi. Plus que le dessin.
- LC : Lorsque j'ai lancé le forum sur BDParadisio, je l'avais
intitulé " Les oeuvres d'Andreas ". La graphiste
du site " L'oeil qui pense " m'avait fait remarqué,
à juste titre, que c'était trop pompeux. Vous même,
quand vous parlez de ce que vous faites, vous parlez de récits,
de bandes dessinées, de créations, d'albums...
- Andreas : De bandes dessinées... Ou d'albums. Créations ! ! !
Les mots comme ça, cela me fait peur aussi. J'ai toujours l'impression
de... Enfin, écoutez, c'est de la B.D. quoi ! Enfin, non,
ce n'est pas ce que je veux dire, ce n'est pas " que de la
B.D. ", au contraire ! C'est ce côté...
Moi, je ne sais jamais ce que ça vaux. Donc, toute notion de
qualité vient de l'extérieur pour moi. Moi, je fais ce
que j'ai envie de faire, ce qui me sort des mains. Ce que ça
donne après, c'est aux autres de dire, pas à moi. Et puis
cela n'a pas une grande importance. Plutôt rester dans des choses
plus simples que vouloir " donner des lettres de noblesse
à la bande dessinée " ou une connerie pareille
(rires)... Ca non.
- LC : Vous dites " Ce qu'on en pense après, cela
n'a aucune importance ". Cela veut dire que ce que vous faites,
la bande dessinée, c'est pour vous que vous la faîtes ?
- Andreas : Ah, en premier lieu, oui. Oui, je le fais pour moi
et puis peut-être pour deux trois personnes que j'ai en tête
quand je le fais. Cela arrive assez souvent. Je me dis " Tiens,
je vais faire ça. Y'a Machin qui va le voir... ". Il
y aura une réaction. Cela peut être des dessinateurs, des
amis... Enfin, des gens dont le jugement est important pour moi, quoi.
Et qui me diront aussi vraiment ce qu'ils pensent. Mais je pense rarement
au lecteur. Si je commence comme ça...
- LC : Vous ne vous arrêtez plus ?
- Andreas : Oui ! (sourires)
- LC : On voudrait des albums tous les mois... (rires). Pour revenir
à la bande dessinée, sans travail de définition,
naturellement, vous la définiriez comment ?
- Andreas : Oula... Je ne sais pas... C'est un mode de narration...
visuel d'abord... En fait, je ne pense pas que je peux donner une définition.
La bande dessinée, c'est ce que je fais, quoi ! Le mot et
l'image... Plutôt l'image et le mot liés de façon
à ce que l'un ne puisse pas exister sans l'autre. Mais... En
fait, j'ai toujours lu des bandes dessinées, depuis que je suis
tout petit. Je l'ai dans le sang d'une certaine façon... La définition,
elle est dans toutes les bandes dessinées que j'ai lues et je
fais celles que j'ai envie de lire en fait. Oui, celles que j'aurais
envie de lire. Et puis, voilà.
- LC : Mmmh. Le but n'était pas de vous torturer avec des
problèmes de définitions (sourire). On va passer aux thématiques
que j'ai repéré lors des lectures de vos albums. Ce sont,
bien entendu, des lectures personnelles et en aucun cas LA lecture de
vos bandes dessinées. La première thématique est
l'identité. La bande dessinée est apparement un médium
très proche de vous, qui vous ressemble. Vous signez d'ailleurs
toujours de votre prénom. A ce propos, y a-t-il un accent à
Andreas ?
- Andreas : Non, il n'y en a pas.
- LC : Bien, merci de cette précision. Encore aujourd'hui,
j'ai lu un article avec votre nom accentué. La question qui se
pose à travers la thématique de l'identité est :
Quelle est la part de l'auteur en vous ? N'y a-t-il pas Andreas
d'un côté et Andreas Martens de l'autre ?
- Andreas : Non. Justement, j'ai signé Andreas parce que
je ne voulais pas signer Martens. C'est-à-dire que mon prénom,
c'est ce qui me différenciait de tout le reste de ma famille
en quelque sorte. Donc, c'est une sorte de prise d'identité à
ce moment là. Non, quand je travaille c'est toujours...
- LC : ...fidèle à vous-même.
- Andreas : Ah oui, oui. Toujours.
- LC : C'est le double thème sur lequel je voulais glisser,
celui de l'identité mais aussi du double. Il traverse vos bandes
dessinées, et il est encore présent dans Capricorne
qui porte un nom qu'il ne doit pas dire et que nous ne connaissons
pas. D'ailleurs, vous le lui volez dans le second tome, c'est ainsi
qu'il se nomme vraiment Capricorne, je crois que c'est ce que lui dit
Blue Face. Ce principe d'identité, c'est quelque chose dont vous
êtes conscient, qui vous travaille et que vous avez envie de travailler ?
- Andreas : Je ne suis pas sur. De toute façon, il va le
retrouver son nom...
- LC : Oui, on s'en doute (rires)...
- Andreas : Je ne sais pas, cela aussi c'est quelque chose qui
vient instinctivement. Ce n'est pas une question que je me pose vraiment.
Car dès que je me pose la question consciemment, d'une certaine
façon, je ne peux plus le mettre dedans. Je me dis " Cela
va être construit... ". Donc non. Non, et puis je me
doutais bien qu'il ne pouvait pas s'appeler Capricorne, donc il fallait
qu'il ait un vrai nom. Cela donne lieu à histoire après
donc...
- LC : Le nom Capricorne lui-même est très symbolique.
- Andreas : Oui !
- LC : C'est amusant car je me suis senti très proche de
Rork à une certaine période de ma vie mais je me sens
progressivement de plus en plus proche du personnage de Capricorne.
D'ailleurs, nous allons passer à la thématique suivante
qui est reliée à ces deux personnages, celle de la recherche,
de la quête. Il y a effectivement beaucoup de construction dans
vos bandes dessinées mais je n'ai pas l'impression que c'est
une volonté de construire. Plutôt que cela vient de vous,
de l'intérieur de vous.
- Andreas : Euh... Oui.
- LC : Vous êtes quelqu'un qui recherchez beaucoup, à
travers la bande dessinée. C'est votre lieu de recherche ?
- Andreas : Ca l'est devenu, oui, je crois. Ca l'est devenu, je
ne m'en suis pas rendu compte, dans les Rork. Parce qu'au début,
je faisais ça pour " faire de la B.D. ",
créer un personnage. Raconter des histoires, quoi ! Et,
avec le temps, cela a pris de plus en plus d'importance. Quelques années
après, je relis les histoires, et je vois des choses que j'avais
mises à l'époque... Et je me dis : " C'était
tout à fait ça ! ".
- LC : Des morceaux de votre biographie ?
- Andreas : Euh, oui. Biographie c'est peut-être beaucoup
dire, plutôt de mon caractère...
- LC : Votre état d'esprit à un moment ?
- Andreas : Oui... C'est encore un grand mot mais c'est une sorte
de psychanalyse...
- LC : Vous allez jusque là !
- Andreas : Oui, parfois, ça peut l'être. C'est pour
cela que je ne ferais jamais d'analyse parce que j'aurais peur de perdre
mes idées pour mes histoires.
- LC : Vous pensez qu'avoir conscience de certaines choses fait
perdre ce côté inspiration ?
- Andreas : C'est possible...
- LC : Vous ne voulez pas tenter le diable...
- Andreas : Voilà. Parce qu'il y a des gens qui ont arrêté
après. Comme Gotlib ou Mandryka, après ils ont arrêté.
Enfin, Gotlib surtout. Ses dernières histoires, c'est des trucs
de psychanalyse et puis après ça s'arrête. Terminé.
Moi, je ne veux pas de ça. (rire)
- LC : Cela vous fait trembler ?
- Andreas : Non, mais j'aime autant pas. Et puis je n'ai pas l'impression
d'avoir particulièrement besoin d'une analyse. Mais ce n'est
pas tout à fait ça non plus... Il y a certains éléments,
vraiment longtemps après, je les vois. Sur le moment, quand je
le fais, je ne le vois pas. Longtemps après, je me rends compte...
- LC : Vous êtes votre premier relecteur !
- Andreas : Je ne le fais pas systématiquement non plus.
Je ne vais pas relire mes anciens albums pour voir des choses. Mais
cela m'arrive de re-lire quelque chose... Parfois on me le dit aussi.
Surtout ma femme, qui est psychologue, de temps en temps, elle me sort
des trucs... " Ah, tiens ? oui. ".
- LC : Elle était déjà psychologue quand vous
l'aviez rencontré ?
- Andreas : Oui, oui.
- LC : C'est intéressant.
- Andreas : Parfois, cela l'effraie un peu ce qu'elle lit dans
les histoires, mais enfin... Surtout le dernier ARQ.
- LC : Racken ?
- Andreas : Oui.
- LC : Je ne l'ai pas encore lu !
- Andreas : Ah bon, d'accord. (sourire).
- LC : La quête chez vous n'est pas seulement narrative,
elle est aussi graphique. Dans Rork, c'est manifeste, mais aussi
dans Capricorne. Vous vous essayez à des choses que vous
n'aviez pas tenté. On a l'impression que les contraintes sont
des éléments moteurs pour vous.
- Andreas : Ah oui, oui, tout à fait. Pour Le triangle
rouge aussi. J'aime bien les contraintes. J'aime bien un certain
cadre que j'essaie de pousser un peu. Pratiquement dans tous mes albums.
Ca dépend. Des lecteurs aussi. Mais, je crois être quelqu'un
de très structuré. J'aime bien dans ma vie quotidienne,
en général ma vie privée avoir un cadre assez...
Ca c'est mon côté Capricorne ! (rires) Mon côté
organisé. Mais j'aime bien aussi comme ça à l'intérieur
d'un cadre aller le plus loin possible. Les plus gros problèmes,
je les ai avec les histoires où j'ai toute liberté. Quand
un éditeur me dit : " Tiens, tu veux me faire
un album ?. Tu me fais ce que tu veux ! ". Bon...
(rires). Donc là, je suis obligé de me donner des limites
que je peux ensuite dépasser ou non, cela dépend. C'est
pour ça que j'aime bien les séries, parce qu'il y a déjà
un cadre qui est là. Justement, jusqu'où je peux aller
pour complètement éclater ce cadre et pourtant rester
dans la série. Rester cohérent avec le reste du travail.
C'est pour cette raison que je me lance dans des trucs hyper longs.
Mais en sachant où je vais. Je ne vais pas tomber à sec
après trois albums. Avec ça, je sais que je peux aller
très longtemps.
- LC : D'accord. Un troisième thème dans vos
bandes dessinées: celui de l'infiniment grand et de l'infiniment
petit. C'est impressionnant comment les petites choses deviennent des
choses importantes et les choses importantes deviennent des toutes petites
choses. La plus grande métaphore de cette thématique,
ce sont les menteurs de Vree dans Rork qui, pendant cinq albums,
nous donnent l'impression de diriger le monde, qu'ils savent téléporter
des gens à des années-lumière alors qu'ils se trouvent
dans la petite pierre. Je vois plein de liens dans cette thématique,
notamment avec la citation sur la quatrième de couverture de
Cromwell Stone [" ...Car nous sommes de minuscules créatures
dans un univers ni bienveillant ni malveillant... Il est simplement
énorme et n'a pas conscience de nous, sauf en tant que maillon
dans la chaîne de vie. " Harlan Ellison], également
avec ce que nous disions tout à l'heure à propos de la
forêt, de la Nature. Dans vos bandes dessinées, on a l'impression
que l'être est effectivement tout petit et que la Nature reprend
en quelque sorte ses droits. Cette grande lutte entre tout ce qui est
grand et tout ce qui est petit vous intéresse ? Pour quelle
raison ? Cette citation de Ellison, c'est quelque chose que vous
ressentez fortement, car elle est omniprésente dans le deuxième
Cromwell Stone et communique une toute autre forme d'angoisse que le
premier tome...
- Andreas : Euh... (sourire). Je ne sais pas... C'est la quête
de Dieu, quoi ! D'une certaine façon. C'est quelque chose
qui me préoccupe toujours. Bon, j'ai été élevé
pas vraiment de façon religieuse. Mes parents n'étaient
pas particulièrement croyants. Moi je l'étais plus qu'eux.
- LC : Ah oui ?
- Andreas : Oui, oui. J'ai eu une période chrétienne
très forte. Que j'ai rejetée ensuite. Mais la question
est restée, cela n'a pas été remplacé par
autre chose. Et justement, c'est encore un vide que je peux remplir
avec quelque chose, avec une histoire. Donc, les questions sont " D'où
venons-nous ? ", " Qu'est-ce qu'il y a dans
l'Univers ? ", " Jusqu'où ça
va ? ", " Est-ce que ça s'arrête ? ",
" Est-ce que ça ne s'arrête pas ?".
Ce sont trucs de... Je ne sais pas comment appeler ça...
- LC : Vous disiez " une question sur Dieu ".
La question c'est " Il existe ? ", " Où
est Dieu ? ", " Qui est Dieu ? " ?
- Andreas : Oui, c'est plutôt " Qui est Dieu " ?
Pas où, parce que ça c'est pas vraiment la question je
trouve. L'existence ou non, et bien, je n'en sais rien mais, même
si c'est l'Homme qui l'a inventé, qu'est-ce qu'il pourrait être ?
Qu'est-ce qu'il amène ? Qu'est-ce qu'amène cette
invention ? Oui, voilà ! C'est le côté
inexplicable en chacun de nous -et en moi- qui m'attire. Enfin, c'est
un peu pompeux d'aller jusque là mais, en même temps c'est
peut-être un côté qui m'est resté et qui m'a
plu dans Lovecraft. C'est ce côté : il y a des choses
dans l'Univers qui nous menacent mais de façon insoupçonné
et surtout il n'y a AUCUN espoir qu'on puisse faire quoique ce soit...
(rires). Donc, ça, j'aime bien... L'inconnu... New York, c'est
un peu ça aussi. Cette immense ville dans laquelle je ne suis
jamais allé. Je peux fantasmer dessus à l'infini. Je l'invente
maintenant, je n'ai plus aucun document quand je dessine New York. Donc
c'est à chaque fois constamment inventé. Ca se voit d'ailleurs,
mais enfin bon... (rires). Voilà, c'est ça : je peux
tout faire à New York, parce que c'est tellement grand. On va
sortir de New York aussi... Mais c'est comme cet espace noir dans l'épisode
Le cube numérique qui est donc sous la mer. Nous sommes
dans le noir de l'espace. On ne sait pas où on est. Et puis il
y a des choses là-dedans.
- LC : C'est la perte de repères.
- Andreas : Oui, c'est ça. C'est tout à fait ça.
- LC : Cela intéresserait beaucoup les américains
de savoir que vous faites une analogie entre le divin et New York (rires).
- Andreas : Je ne sais pas si j'irais jusque là ! !
Non, New York, c'est plutôt le concret. C'est le monde dans lequel
bouge les personnages. Mais cela cache des choses bien sûr. En
dessous surtout.
- LC : Un monde souterrain.
- Andreas : Oui.
- LC : C'est d'ailleurs comme cela que commence la série
Capricorne : Ash court dans un souterrain et à la
dernière case, il y a une ouverture vers le ciel, l'espace.
- Andreas : Mmh Mmh.
- LC : Une petite question à part de la part de Stéphane
Hanczyk qui a écrit l'article " Hibou y es-tu ? ".
Il s'était beaucoup amusé justement avec tout ce qui est
hibou. C'est quelque chose qui lui a beaucoup beaucoup parlé.
Il travaille sur la symbolique du corps, la mythologie grecque... Il
voit encore d'autres choses très très personnelles à
l'intérieur du travail que vous faites. Et donc là je
me fais un peu son ambassadeur, il avait une petite question, et vous
me l'avez rappelé au moment où vous avez parlé
de " créateur ". Je pense en fait à
ces immenses... (hésitation)
- Andreas : bestioles, oui ?
- LC : ses immenses animaux... Ces "bestioles", exactement oui
(sourires). Il y a d'abord le Passeur qui est cette chose sublime qui
inspire à la fois le respect et la crainte...
- Andreas : Il y en a dans Cromwell Stone aussi.
- LC : Tout à fait. Une explication qui est donnée
dans Cromwell Stone, Il y en a un qui a dérivé,
qui a créé cette situation. Stéphane voyait une
image du travail que vous faites en B.D. De plus, en vous entendant
parler de votre travail, je comprends que c'est très personnel
pour vous, pratiquement une analyse. En faisant cela, vous créez
un monde que l'on ne retrouve nulle part ailleurs.
- Andreas : Peut-être. Peut-être. Je ne sais pas...
Oui, je n'ai jamais vu ça comme ça, mais...
- LC : Cela peut ne rien vous inspirer... (sourires)
- Andreas : Comme il va y avoir un troisième volume...
- LC : Oui, vous devez avoir un autre point de vue que nous, lecteurs.
- Andreas : Oui. Même dans le premier déjà.
- LC : Dans le premier, c'est encore au niveau humain, il y quelque
chose d'inquiétant mais ce sont les maisons, l'angoisse, l'oppression.
Dans le deuxième, surtout avec cette double planche -qui, apparemment,
vous avez donné beaucoup de mal...
- Andreas : Oh oui !
- LC : On voit que c'est le ciel qui est en jeu.
- Andreas : Oui, oui. C'est ça.
- LC : En fait, dans une toute petite série comme Cromwell
Stone, vous avez mis beaucoup beaucoup de choses de vous déjà.
- Andreas : Oui !
- LC : Nous allons parler un peu du Web, puisque nous y sommes.
Vous connaissez le site comment ?
- Andreas : Je vais rarement sur le Web. C'est l'ordinateur de
ma femme que j'utilise. Ce doit être les éditions du Lombard
qui m'en ont parlé... Quelqu'un d'autre m'avait montré
le site... Ah oui ! C'est mon beau-frère qui est très
ordinateurs. Il avait saisi Andreas ou Rork et il avait trouvé
le site. Il me l'avait imprimé et me l'avait envoyé.
- LC : Est-ce que cela vous intéresserait de travailler
pour le médium Web ? Parce qu'il y a certaines analogies
entre le réseau Internet et les univers complexes que vous créez.
Comme sur Internet, dans vos bandes dessinées, au moment où
l'on a l'impression d'avoir tenu quelque chose dans le volume d'après,
ou vous attendez deux volumes pour pouvoir ensuite nous déstabiliser
et puis pouf ! vous partez sur autre chose. Ou alors ça
continue dans la même logique mais en fait on ne se serait jamais
attendu à ça, c'est la surprise...
- Andreas : Oui...
- LC : Et c'est pour ça que je trouvais très intéressant
de faire quelque chose à propos de vos récits sur le Web.
Ma volonté, quand j'ai travaillé avec Raïssa, la
graphiste qui s'est occupé de toute la conception graphique,
était de partir de la métaphore de l'oeil. Mais elle a
préféré, vous avez du les reconnaître, les
labyrinthes de Cyrrus, Mil et Le cimetière des
cathédrales... Parce qu'elle m'a dit " L'oeil,
on le trouve partout sur le Web... "
- Andreas : Oui... J'imagine...
- LC : Elle justifiait son choix du labyrinthe en parlant de vos
structures qui sont effectivement labyrinthiques...
- Andreas : Mmh mmh.
- LC : Et, en même temps, le Web a cette particularité...
- Andreas : C'est pareil, c'est ça aussi, oui...
- LC : On ne sait pas ce qu'on trouve, on ne sait pas où
on va. On dit qu'on " surfe " mais en fait on est
perdu.
- Andreas : Voilà.
- LC : Et on essaie de trouver.
- Andreas : Oui
- LC : Ce n'est pas quelque chose qui vous attire ? De faire
quelque chose exprès pour ça, pour le Web qui a cette...
- Andreas :
Non. (rire). Non ! Je me suis posé la question, non. Mais ça
c'est particulier au mode d'expression, quoi. C'est à dire que
ce que j'aime bien entre autres dans la bande dessinée c'est
le côté : on tient tout... toute l'histoire dans la
main... Et
on peut revenir en arrière... Je sais pas, si à la page
23 on voit quelque chose... On se dit " Tiens j'ai vu ça
déjà à la page 2 ou 3 " ou, enfin quelque
part au début on peut feuilleter, on peut retrouver parce que
c'est visuel. Ce qui ne peut pas se faire dans un roman, il faudrait
chercher plus longtemps
- LC : Exactement, c'est pas évident.
- Andreas : Dans un film, on ne peut pas le faire sauf si on a
une cassette ou un DVD. Mais c'est pas la même chose, on a pas
toujours pratiquement tout sous les yeux. Et sur le Web, c'est... Et
puis ce qui me gêne aussi, c'est le côté lecture
sur un écran. Pas pour une image, mais pour un texte. C'est quelque
chose qui... C'est pas...
- LC : Ca ne vous plaît pas...
- Andreas : Ce n'est pas au point, ça. Si j'ai un écran,
et s'il y a du son, pourquoi y'a pas de son ? Cela voudrait dire
qu'on pourrait mettre un son à ce moment là. Et alors
là ce n'est plus de la bande dessinée comme moi je la
définis en quelque sorte.
- LC : Tout à fait.
- Andreas : Justement, l'absence de son, elle est en même
temps... très limitante et... très intéressante.
Parce que comment faire les sons sans faire des onomatopées ?
Ca, y'a rien qui m'embête plus que les onomatopées. De
temps en temps, je suis obligé d'en mettre une et ça me...
Parce que le lettrage dans l'image, je n'aime pas ça, quoi.
- LC : J'ai en tête l'image du train qui passe à l'intérieur
de Capricorne dans lequel vous avez mis RRRRRRRRRRRR comme ca.
- Andreas : Oui !
- LC : C'est une onomatopée, mais elle est tellement à
l'intérieur de l'image qu'on a l'impression que c'est le train
qui... C'est une onomatopée " plus ", on
a l'impression que c'est le train qui parle, pratiquement.
- Andreas : Mmh, mmh. Mais c'est toujours emmerdant. C'est toujours
quelque chose qui me... Et c'est très difficile à faire.
Comment vous voulez faire faire quelque chose à un personnage
qui entend quelque chose et qui réagit par rapport au
son ?... Hyper difficile. On s'était posé la question
avec Trondheim à un moment donné : comment faire
sonner un téléphone sans onomatopée, quoi !
Et sans le truc humoristique avec le combiné qui bouge ou quelque
chose comme ça. Et là, il faut plusieurs images pour montrer,
rien que montrer qu'un téléphone sonne et c'est...
- LC : Vous l'avez fait dans un des Capricorne si je me
souviens bien. A un moment une personne tourne la tête justement
et décroche le téléphone. Je crois même que
c'est Capricorne qui le fait.
- Andreas : Oui, oui, c'est possible, oui. Cela a du être
juste après...
- LC : Après votre discussion... Le fruit de votre discussion !
- Andreas : Voilà, exactement ! (rires)
- LC : C'est tout à fait vrai ce que vous dites sur le Web,
et c'était quelque chose que j'avais noté : on ne
peut pas tout tenir dans la main. Et c'est quelque chose de gênant
pour vous.
- Andreas : Oui, ça me gêne ça. Et puis j'aime
bien le papier.
- LC : C'est une question de PASSION !
- Andreas : Oui, voilà ! (rires) C'est aussi une question
d'original. Pour moi, l'original, c'est l'album, quoi. C'est pas la
page dessinée. La page dessinée, c'est une étape.
- LC : Ah oui ?
- Andreas : Pour moi, l'original, c'est l'album. Parce que c'est
le but du truc. Si vous avez une planche dans la main, vous ne pouvez
pas la lire. Vous pouvez la lire, mais c'est hors contexte, y'a pas
les couleurs... L'original, c'est l'album, c'est pas le dessin, c'est
juste un machin...
- LC : Vous avez du vous accrochez avec des gens avec ça
parce que...
- Andreas : Oui, bien sûr, avec tous ceux qui veulent faire
des expositions de planches !
- LC : Le vocabulaire tel que vous l'utilisez là, c'est
celui qui est utilisé pour " c'est la planche originale
de... ". Alors que, pour vous, l'original, c'est l'album original
de...
- Andreas : Exactement.
- LC : Donc, vous êtes carrément plus attaché
à l'édition " Histoires et légendes "
de Fragments ? Ou c'est quand même pour vous autre
chose que d'avoir ressorti Fragments dans une collection Rork
propriétaire ?
- Andreas : Ca, c'est pareil. Du moment que c'est un album. Non,
c'est surtout par rapport aux " originaux " entre
guillemets qui sont exposés. Et puis hier soir j'étais
avec ma fille dans l'exposition Loisel. On a regardé toutes les
illustrations, et tout ça... Puis on est passé aux planches.
Ma fille elle m'a dit " Ouais, pfff, les planches ".
Elle en a regardé deux, trois et puis elle en avait marre. Et
c'est vrai que regarder des planches, comme ça, dans une exposition,
pour moi aussi, cela devient très vite lassant. Parce que, oui,
d'accord, c'est du dessin, et cætera, et puis on peut voir qu'il
a mis du blanc et tout... Mais ça n'a pas de sens vraiment. Qu'une
illustration, bon, c'est une image, ça tient tout seul, ça
n'a pas d'autre sens, à part comme pour une illustration de couverture
ou quelque chose... Mais une page de bande dessinée, à
moins que ce soit un gag, qui tient en une page, ça reste toujours
un truc arraché au contexte. En plus, les pages sont grandes,
elles sont faites pour être réduites, et cætera...
Pour moi c'est vraiment : l'album.
- LC : Une partie d'un tout.
- Andreas : C'est ce qu'il y a dans l'album qui est... Dans toutes
les éditions en grand, en noir et blanc, et tout, enfin... le
deuxième Rork, y'a eu ça. J'aimais pas ça
du tout parce que c'était du noir et blanc et grand et je voulais
ça en petit et en couleurs.
- LC : Donc, la version limitée de Cromwell Stone,
c'est pas quelque chose que vous...
- Andreas : Plus ! Parce que je me rends compte que ça
marche mieux en grand qu'en petit, en fait.
- LC : C'est ce que vous aviez dit.
- Andreas : C'est parce que j'avais mis trop de choses dedans.
J'avais trop chargé. Un peu allégé parce que je
m'étais... un peu emballé là dessus... (rires)
C'est le moins qu'on puisse dire. Et je vais refaire la double page
avec les bateaux parce que je suis vraiment pas content de celle là.
- LC : Ah oui ?
- Andreas : Oui
- LC : Donc il y aura une réédition...
- Andreas : Je vais essayer de le faire, pour l'intégrale...
Parce que Delcourt va faire une intégrale avec les trois. Et
en même temps sortir une affiche ou quelque chose comme ça
au format original, pour les gens qui ne veulent pas racheter l'intégrale.
Je trouve ça plus... Parce que je n'aime pas refaire des illustrations
comme j'ai fait pour la réédition des Rork. Mais
c'était le seul moyen de virer la préface du premier,
c'était de mettre des illustrations.
- LC : Ah, c'était pour faire partir la préface de
François Rivière ?
- Andreas : Oui.
- LC : Parce qu'elle parlait de 92 planches ? Elle était
plus...
- Andreas : Oui, elle était assez... Oui, et puis j'aime
pas les préfaces en général. Parce que d'abord
personne ne les lit. Enfin, pratiquement personne... Et puis c'était
assez limité dans le temps. Et puis il dit un truc à la
fin du genre... Qui était tourné vers l'avenir... Du genre
" un talent qui va... ", bla bla bla. J'aime pas
les préfaces. Et justement, dans Histoires et légendes,
si j'ai commencé à faire toutes ces choses avant à
chaque fois les histoires de Rork, c'est justement pour qu'il
n'y ait pas de préface. Parce qu'ils voulaient à chaque
fois une préface, donc.
- LC : A l'intérieur de Rork, ils avaient demandé
une préface à chaque fois ?
- Andreas : Dans la collection Histoires et légendes,
oui, pour chaque album, ils voulaient une préface. Donc ce qui
a donné, à chaque fois, ces petits dossiers, ou des bouts
d'histoires ou des choses comme ça.
- LC : Ah oui, d'accord, encore une contrainte que vous avez contourné
à votre avantage.
- Andreas : Voilà. (sourire)
- LC : Je n'avais pas fait le rapprochement, c'est vrai.
J'aime beaucoup le travail que vous avez commencé
avec Durieux sur Mobilis. Il est très intéressant.
Très différent de votre style qui n'est ni réaliste,
ni irréaliste. C'est votre style on va dire...
- Andreas : Oui.
- LC : Le style de Durieux est largement plus réaliste.
C'était volontaire de travailler avec quelqu'un qui ait ce style
plus réaliste ?
- Andreas : Pour cette histoire là, il me fallait quelqu'un
qui ait un style plus réaliste parce qu'il devait pouvoir dessiner
des trucs très quotidiens : le mec qui s'emmerde chez lui,...
- LC : On se sent très proches des personnages.
- Andreas : Jusque là, ce qui m'a surtout fasciné,
c'est la mécanique de l'histoire. C'est le labyrinthe, en quelque
sorte mais ce n'était pas les personnages. Et dans l'histoire
pour Durieux, j'ai essayé d'écrire plus les personnages.
Dans ARQ aussi. Cela part d'une plus grande volonté de
travailler cet aspect à l'intérieur de la structure de
l'histoire. Et ça, c'est un côté qui me manquait...
Et puis, on me l'a dit, plus qu'une fois, que mes personnages étaient
assez froids, assez inexistants quelque part. C'étaient des petit
pois, des petits rouages dans la mécanique de l'histoire. Et
donc, j'ai envie plus de...
- LC : C'est amusant que vous utilisiez l'adjectif " froid "
pour vos personnages, je pense à la prostituée dans ARQ
qui a une affinité forte avec la chaleur
- Andreas : Justement, ARQ c'est l'après. Là,
j'essaie consciemment de travailler les personnages. C'est pour cela
qu'on raconte toute leur vie.
- LC : Oui, il y a deux tomes... Cela va avec un changement en
vous, ce passage des grandes mécaniques célestes à
une vie intérieure des personnages ?
- Andreas : Non, c'est plus une volonté parce qu'on me l'a
dit. Et je m'en suis rendu compte après. C'est vrai que
ce qui m'intéresse, le moment le plus magique, c'est entre le
scénario et le dessin. Quand je peux mettre en route, mettre
en page, découper et tout ça. Et ça, j'adore ça,
c'est la mécanique de l'histoire, de la narration en fait. C'est
ce que je préfère. Et puis après je me suis dis :
" Il faut que je soigne un peu plus mes personnages "
parce que ça aussi, c'est un moteur pour l'histoire. Et, en fait,
j'y entre assez facilement... Le fait que Julian, dans ARQ, n'arrête
pas de se suicider, c'est venu tout naturellement. Une fois que j'avais
mis ça en route au départ... Et bien en l'écrivant
: bon, il continue à se suicider. Et cela collait très
bien avec l'histoire. Les personnages peuvent amener plein de choses.
Et je n'avais pas remarqué ça auparavant. C'était
plus par les éléments de l'histoire que par le caractère
ou la personnalité des personnages.
- LC : Vous êtes très proche du passage ou Rork décide
de ne plus se laisser guider par les évènements. C'est
votre côté Descente.
- Andreas : (rire) Oui, voilà.
- LC : C'est intéressant car beaucoup de personnes n'apprécie
pas cet album, et c'est pour cette raison que j'ai écrit l'article
" Descente : le premier Retour de Rork ".
Rork n'aurait pas pu arriver à revenir s'il n'était
pas descendu...
- Andreas : Il y aura un album similaire dans Capricorne.
Mais ce ne sera pas fini après.
- LC : Capricorne connaîtra aussi sa descente ?
- Andreas : D'une certaine façon, oui, il aura sa Descente.
Mais ce sera dans le... 14ème tome.
- LC : ! ! ! Ah, vous voyez très très
loin pour Capricorne.
- Andreas : Jusqu'à 21.
- LC : Les chiffres, c'est important pour vous ? 3 fois 7 ?
- Andreas : Non, en fait, c'est jusqu'à 20 et il y a 21
parce que jusqu'au 20 , il y a quelque chose que je peux pas dire. Donc
je dois le dire dans le 21. Sinon le 20 n'a plus aucun... Mais cela
continuera après. Enfin j'espère. Mais je ne ferais plus
de grandes sagas, machin... Je ferais justes des histoires. Il y a déjà
un passage comme ça jusqu'au 20ème entre le
11ème jusqu'au 15ème. Ce sont des
histoires complètes. Voilà.
- LC : Encore une dernière question, c'est celle que j'ai
appelé la " Question subsidiaire ". En fait,
lorsque j'ai créé " L'oeil qui pense ",
on venait de m'offrir l'intégrale Cyrrus-Mil. Et il y
a une question qui m'obsédait, et c'est pour cela que j'avais
créé un lieu dans lequel j'écrirais quelque chose.
Je ne l'ai jamais écrit parce que j'avais mis en route le forum
qui se trouve sur BDparadisio dans lequel j'avais posé la question.
Il y a eu beaucoup, beaucoup de gens qui ont répondu. C'est la
fameuse phrase de la fin de Mil.
- Andreas : Ah oui, oui : " Je sais qui vous êtes ".
- LC : Vous comptez y répondre un jour ? On peut tout
savoir en lisant l'album ? Ou...
- Andreas : Théoriquement, oui, on peut le savoir. C'est
pas... Enfin, moi, ça m'étonne toujours qu'on trouve pas.
Je trouve ça tellement évident. En fait, c'est pas vraiment
un personnage des histoires, en fait. C'est plutôt... Enfin, je
peux le dire : c'est la mort, quoi. Y'a pas de secret, vraiment.
Mais une ou deux fois, y'a des petites phrases du genre... " Il
est immortel, et ça il ne peut pas le supporter. "
Et qui ne peut pas supporter l'immortalité, et bien c'est la
mort.
- LC : Oui, ben je n'aurais jamais trouvé.
- Andreas : Oui, il y a plein de gens qui m'ont dit la même
chose, donc ce n'était pas très clair apparemment.
- LC : Ce n'est pas seulement que ce n'est pas très clair,
c'est que ce personnage a une telle dimension... Je pense qu'en fait
on a trouvé parce qu'on n'a pas trouvé. En ne le trouvant
pas, on le trouve parce qu'on ne veut pas le voir. Donc, peut-être
que vous êtes allé encore plus loin...
- Andreas : (rire) Oui, mais, enfin... Faut pas non plus...
- LC : Ce n'est pas du tout pour vous envoyer des fleurs, l'idée
ce n'est pas ça. C'est qu'effectivement, maintenant que vous
me le dites, cela me semble évident. Après quand je reviendrais
chez moi, je le lirais, et je pense que cela m'amènera une cohérence.
Mais je pense que cela ne m'amènera qu'UNE cohérence dans
l'histoire. Parce que vous avez vu les pages et les pages de gens qui
ont écrit " Oui, alors voilà, y'a telle force
donc telle force... ". C'est plutôt celui qui représente
le mal, le malin, le diable... Y'a des tas d'interprétations.
- Andreas : Alors que pour moi, la mort, ce n'est pas le mal. C'est
neutre. C'est pour cela qu'il y a Yosta dans les 4 cavaliers de l'Apocalypse.
- LC : Oui, effectivement, c'est ce que tout le monde s'est demandé,
pourquoi Yosta ?
- Andreas : Parce que Yosta, il représente la mort, donc
c'est sans valeur. C'est pas un méchant. C'est pas un bon, non
plus.
- LC : D'accord. Cela veut dire que les 4 cavaliers de l'Apocalypse
sont des forces qui ne sont ni bonnes, ni méchantes aussi ?
- Andreas : Les trois autres sont plutôt négatives
quand même. Je ne sais plus ce que c'est... C'est la pestilence,
la famine et la guerre ! Là dedans, la mort me semble...
Oui.. C'est pas nécessairement négatif. C'est quelque
chose qui de toute façon arrive, donc ça... Les autres,
c'est... On peut faire quelque chose, quand même. Surtout la guerre
ou la famine. Donc, pour moi, ce personnage dans Mil, c'est pas
un méchant. Et d'ailleurs, à la fin, ils ne sont pas en
opposition.
- LC : Oui, c'est plutôt de la complicité.
- Andreas : Voilà. C'est le moment où Bachman sait
qu'il va mourir.
- LC : Mais, en même temps, le fait que tout va mourir, cela
préfigure déjà qu'il va y avoir une vie après.
C'est pas quelque chose de négatif. Même du point de vue
de la planète, vous avez gardé l'idée que la mort
est neutre... Pas un passage mais... En tout cas qu'elle fait partie
du cycle de la vie.
- Andreas : Voilà.
- LC : D'accord. Et bien j'ai ma réponse. C'est formidable.
(rires). Merci beaucoup pour toutes ces réponses.
- Andreas : C'est moi qui vous remercie.
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